La « Reuse Economy », une industrie d’avenir, levier de croissance et de leadership mondial pour la France

Publié par LaTribune, le 11 décembre 2024.

OPINION. L’économie linéaire – extraire, produire, jeter – a alimenté la croissance mais atteint ses limites. Face aux défis environnementaux, la transition vers une économie circulaire s’impose. Cependant, le recyclage ne suffit pas. Une « Reuse Economy » est nécessaire pour compléter la sobriété et assurer un avenir durable. Par Célia Rennesson, Cofondatrice et directrice générale de Réseau Vrac et Réemploi ; Bertrand Swiderski, Directeur RSE de Carrefour et Président de Périfem et Eva Comble, Cheffe…

Le développement des grandes économies mondiales s’est construit sur une logique de consommation linéaire : extraire, produire, consommer, jeter. Ce schéma, qui a permis d’associer croissance et amélioration des conditions de vie, s’essouffle face aux défis de la préservation des ressources et du changement climatique. Certes, des efforts notables ont été réalisés en matière de recyclage, d’optimisation des ressources ; des efforts de la société civile comme des forces politiques, qui ont permis de poser les jalons de l’économie circulaire. Tout cela reste insuffisant. Il faut aller encore plus loin, en jetant les bases d’une véritable « Reuse Economy », complément indispensable à l’effort de sobriété et de recyclage. À eux trois, ils constituent les fondements d’un modèle de production et de consommation qui répond concrètement aux défis écologiques de notre époque.

La « Reuse Economy », un terme anglais, est une économie du réemploi qui s’ancre dans les territoires, mais qui n’a pas de frontière. Plus qu’une simple évolution, elle est une opportunité unique pour la France de structurer une filière industrielle, créatrice d’emplois non délocalisables, dans tous les territoires, et de se positionner comme leader mondial de ce modèle.

La « Reuse Economy » consiste à maximiser la durée de vie des produits en favorisant leur usage multiple, plutôt que leur usage unique, leur réemploi plutôt que leur destruction ou leur recyclage immédiat. Elle repose sur un triptyque : conception d’un produit pour l’usage multiple, geste de retour, remise en état (lavage, reconditionnement ou réparation).

Alors que nous importons pour environ 500 milliards d’euros de biens par an (quasiment tous dans le cadre d’une économie linéaire), la « Reuse Economy » ouvre des perspectives colossales de relocalisation de nos productions industrielles et de développement de marchés de l’industrie du réemploi, qui concernent tous les secteurs et leurs chaînes de valeur : réemploi de matériel industriel, fabrication d’emballages réemployables, services de logistique pour la collecte, réparation d’appareils électriques, remise en état de mobiliers, dépose et déconstruction dans le BTP ou encore assurance des matériaux réemployés et des biens reconditionnés. Elle engage aussi tous les acteurs de l’économie : grands groupes industriels, PME locales, structures de l’ESS, artisans, start-up.

En 2022, 27 % de la consommation de biens domestiques provenait de l’entretien ou de la réparation de biens existants. Cette réalité s’est d’autant plus accélérée depuis la loi AGEC, grâce à la substitution des emballages à usage unique dans les fast-foods par la vaisselle réemployable, ou encore avec l’introduction de l’indice de réparabilité et d’un bonus réparation. La même année, l’Europe promulguait son Pacte Vert, impulsion de l’économie circulaire qui a permis la révision de textes fondateurs tels que les règlements d’écoconception et sur les emballages et déchets d’emballages, et l’introduction de la directive du droit à la réparation.

La « Reuse Economy » est en mouvement partout dans le monde, mais elle n’est encore qu’aux prémices de sa structuration. Elle connaîtra une croissance exponentielle dans les prochaines années : à moins de 15 ans, on anticipe un potentiel de 20% de marchés convertis.

La « Reuse Economy » constitue un formidable levier pour relever le défi de la réindustrialisation de la France. Son action se rationalise à l’échelle régionale, son potentiel de création d’emplois est immense et chaque territoire peut tirer profit de cette dynamique à travers l’implantation de véritables « Reuse Hub » : centres de tri et de lavage des emballages, plateformes de réparation, de stockage ou logistiques… L’opportunité de revitaliser des régions entières et de créer des emplois locaux, non délocalisables, est une réalité. En 2021, on dénombrait d’ailleurs déjà 350 000 emplois relatifs à l’allongement de la durée d’usage.

La France a tous les atouts pour en devenir le leader mondial : un savoir-faire industriel, un réseau d’acteurs engagés et innovants, une volonté politique de plus en plus affirmée en faveur de la transition écologique, et même un salon professionnel international dédié.

La révolution du réemploi est déjà en marche dans plusieurs secteurs (BTP, industrie, grande distribution). L’industrie de l’emballage avec le déploiement d’un dispositif national mutualisé de réemploi des emballages en verre en grandes surfaces en 2025. Il est temps qu’elle s’étende et que l’effort se poursuive dans les autres secteurs. La mise en place de politiques publiques incitatives est ici cruciale, de même que l’accompagnement des entreprises dans leur transition vers des modèles de réemploi, et le soutien à l’innovation dans ce domaine. Un engagement fort et concret de l’État sera essentiel pour faire émerger une véritable « Reuse Economy ».

Si la France parvient à structurer cette industrie, elle pourra répondre aux enjeux climatiques et de ressources, mais aussi à se poser comme prescriptrice d’un modèle indispensable pour la pérennité de nos économies.

Par Célia Rennesson, Bertrand Swiderski et Eva Comble.

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